Des fruits, du bois, du
temps et de la créativité
Un grand spiritueux requiert une attention de tous les instants et un savoir-faire unique. 3 millions d’arbres et 300 maisons perpétuent l’ancrage séculaire du calvados.
Au commencement, une pomme ou une poire
Tout s’édifie dans le verger. S’ils nécessitent un travail important tout au long de l’année, les arbres sont taillés à la fin de l’hiver, avant d’entamer la période de floraison et de pollinisation au printemps. Les abeilles et les autres pollinisateurs contribuent de façon décisive à l’épanouissement des fleurs et donc, des fruits.
De la même manière, l’enherbement des rangs demeure fondamental dans l’écosystème de production : il préserve la richesse des sols et amortit la chute des fruits, une fois mûrs.
Mais la période décisive est celle de la récolte qui intervient généralement de septembre à mi-décembre, pour les variétés de fruits les plus tardives.
À la différence des pommes ou des poires de table, les fruits à cidre sont de petite taille et ont la particularité d’être riches en tannins.
C’est l’association subtile de ces différentes variétés qui donne au cidre à distiller l’équilibre et le caractère que l’on retrouvera ensuite dans le calvados.
Une fois récoltés, les fruits sont assemblés, triés, et lavés avant d’être broyés. La pulpe est ensuite pressée pour en extraire le jus : c’est ce qu’on appelle le moût.
La fermentation du moût se fait en cuve de façon naturelle. Les cahiers des charges n’autorisent aucune gazéification, acidification, édulcoration ou pasteurisation. Ce processus permet la transformation des sucres contenus dans le moût en alcool.
Les cidres sont prêts à la distillation lorsque le sucre a été totalement consommé et titrent au moins 4,5% d’alcool à 20°.
Un délai minimum de vingt et un jours, pendant lequel a eu lieu la fermentation, est fixé entre l’extraction du jus et la distillation pour les Calvados et les Calvados Pays d’Auge et de trente jours pour le Calvados Domfrontais.
Un rôle-clé
La transformation du cidre ou du poiré en calvados se fait par distillation, opération qui consiste à dissocier l’alcool de l’eau. Lorsque le cidre est chauffé, l’alcool qu’il contient ayant une température d’ébullition inférieure à celle de l’eau, il s’évapore avant elle.
L’alambic est l’instrument qui permet de recueillir ces vapeurs chargées d’alcool et de les condenser afin d’obtenir une eau-de-vie où se retrouvent les substances volatiles constituant les éléments principaux du bouquet.
Le type d’alambic utilisé pour cette étape est déterminant.
Au sein des trois appellations de Calvados, cohabitent deux types d’alambic : l’alambic à repasse et l’alambic à colonne (fixe ou ambulant).
Seule l’appellation Calvados autorise le choix entre ces deux méthodes de distillation.
Pour le Calvados Pays d’Auge, la distillation s’effectue en deux chauffes à l’aide d’un alambic à repasse, composé principalement d’éléments en cuivre.
Le cidre introduit dans la chaudière est chauffé. Les vapeurs d’alcool montent, sont recueillies dans le chapiteau, s’engagent dans le col de cygne, puis dans le serpentin qui plonge dans un bac d’eau froide.
Au contact du réfrigérant, elles se condensent en liquide. Les « têtes » et les « queues », vapeurs de début et de fin de la distillation très riches en alcools supérieurs qui seront redistillés avec le prochain cidre, sont prélevées pour obtenir le « brouillis » ou « petite eau » titrant de 28 à 30%.
Cinq à six « premières chauffes » sont nécessaires pour obtenir un volume suffisant de brouillis à 30 degrés.
Il est alors réintroduit dans la chaudière pour « la seconde chauffe ». Comme précédemment, les débuts et fins de distillation sont écartées. Il en résulte le cœur de la distillation, la « bonne chauffe », qui ne doit pas excéder 72 degrés en sortie d’alambic.
Dans un souci d’économie d’énergie, le cidre destiné à être distillé lors d’un prochain cycle est introduit dans le chauffe-cidre qui contribue à refroidir les vapeurs d’alcool qui le traversent et se trouve préchauffé jusqu’à 65°C avant d’être renvoyé vers la chaudière.
L’alambic à colonne est utilisé obligatoirement pour l’élaboration du Calvados Domfrontais, et très majoritairement pour le Calvados.
Trois éléments le composent : la chaudière, la colonne de distillation (séparée en deux tronçons cylindriques appelés colonne d’épuisement et colonne de concentration et composées toutes deux de plateaux munis d’éléments de barbotage), ainsi qu’un chauffe-cidre.
Le cidre remonte de façon gravitaire à travers le chauffe-cidre et parvient progressivement en haut de la colonne d’épuisement. Il descend de plateau en plateau par des trop-pleins vers la chaudière.
Tout au long de son parcours, il s’appauvrit en alcool sous l’effet de la chaleur. Les vapeurs produites à partir du cidre épuisé remontent et s’enrichissent au contact du cidre avec les éléments volatiles : l’alcool, les esters, les arômes.
Ces vapeurs traversent également les plateaux de la plus petite colonne dite « de concentration » et se condensent dans le chauffe-cidre avec l’arrivée du cidre froid pour fournir un distillat inférieur à 72 degrés, après extraction des têtes et des queues.
Les distillations réalisées à l’aide d’un alambic à repasse ou d’un alambic à colonne vont révéler une eau-de-vie incolore étonnamment florale et fruitée qui prendra sa couleur et s’épanouira avec la complicité du bois et du temps.
L’œuvre du bois et du temps
Selon l’appellation, le Calvados ne pourra être commercialisé qu’avant un vieillissement minimum de deux ou trois ans. Il ne vieillit exclusivement qu’en fûts de chêne d’un type précis : sessile ou pédonculé.
Au contact de l’air au travers du bois, sa teneur en alcool et son volume diminuent progressivement par évaporation naturelle. C’est ce qu’on appelle « la part des anges ».
Le Calvados vieillit en fûts de chêne très sec, le contact du bois lui communiquant les éléments nécessaires à son parfait épanouissement.
Les matières tanniques du bois lui confèrent une teinte spécifique et les échanges incessants entre la jeune eau-de-vie, le bois et l’air ambiant, lui permettent d’acquérir sa finesse et sa plénitude.
Dans certaines distilleries, le Calvados jeune est d’abord élevé dans des fûts de 250 à 600 litres en bois neuf, très chargés en tanins, pour lui donner un peu de couleur et de nervosité avant d’être transféré dans des foudres plus anciens, parfois centenaires.
D’autres maisons préfèrent le mettre directement dans des foudres de 1 000 à 10 000 litres ayant déjà été utilisés, qui assurent à la fois le vieillissement et le stockage.
Peu à peu, l’arôme du Calvados va s’exalter, sa coloration s’accentuer, passant du doré à un ambre plus profond. Les arômes de pomme fraîche, très présents dans un jeune Calvados vont évoluer vers des arômes plus complexes de pommes cuites, de bois mais aussi de parfums vanillés, de miel, d’épices ou de noix, signes d’une belle maturité.
Millésimes ou assemblage
Pour être commercialisés, les Calvados devront titrer au minimum 40% vol.
Ce titre alcoométrique est obtenu sous l’action du maître de chai qui adjoint très progressivement de l’eau osmosée à l’eau-de-vie.
Cette opération délicate est appelée la réduction.
Tout au long du vieillissement, les Calvados sont aérés et transférés vers d’autres fûts pour les rendre plus souples et leur conférer caractère précis.
Seules l’éducation et l’expérience du maître de chai acquises au cours de la dégustation lui permettent d’élaborer des Calvados empreints d’une personnalité propre à chaque maison.
Tel un alchimiste, il procède à de savants assemblages en associant des eaux-de-vie d’âges divers, provenant de récoltes ou de terroirs différents afin d’associer les qualités complémentaires de chacune d’entre elles.
Avant la mise en bouteille, ces assemblages devront se parfaire durant de longs mois au cours desquels les différents bouquets pourront se mêler et s’enrichir.
Certains Calvados « brut de fût » sont non réduits.
Ils bénéficient d’un degré naturel obtenu par évaporation de l’eau-de-vie au fil du temps. Directement prélevés dans la partie supérieure du fût, ils sont embouteillés le plus souvent à la demande et offrent une belle concentration d’arômes.
Les nouvelles tendances
Sans tourner le dos aux comptes d’âge classiques ou aux cuvées millésimées qui restent encore aujourd’hui très largement majoritaires, le Calvados s’inscrit aujourd’hui dans une tendance qui se développe sur l’ensemble des spiritueux.
Depuis quelques années apparaissent des « single cask » (cuvée limitée issue d’un seul et même fût), des « brut de fût » (Calvados extrait directement à la sortie du fût à leur degré naturel sans adjonction d’eau) ou autres « finish » (affinage, après un premier vieillissement, dans des fûts ayant contenu un autre alcool comme du Bourbon, du whisky, du Sherry, du Sauternes…).